Histoire du terrain d'aviation

Depuis 1931, les membres de l'aéro-club de Lons-le-Saunier sont à la recherche d'un terrain plat, suffisamment long pour faire décoller un avion. Une promesse de bail est signée le 12 janvier 1932 entre M. Gilbert Bussière, maire de Courlaoux, et M. Henri Baud, président de l'aéro-club, autorisé par son conseil d'administration. Ce bail de neuf ans prend effet au 1er janvier de cette année-là. Il concerne la location de la partie nord des communaux, à l'emplacement actuel de la fromagerie « Monts et Terroirs ».

   En 1933, a lieu la première fête d'aviation, comprenant un rallye et un meeting. En 1935, est décidé l'agrandissement de l'aérodrome, ainsi stipulé dans les textes officiels : « Est déclarée d'utilité publique l'acquisition, pour le service militaire, en vue de l'agrandissement de l'aérodrome, de diverses parcelles de terrain situées sur le territoire de la commune de Courlaoux. »

   Aussitôt les travaux de nivellement et de drainage terminés, le nouveau terrain est en mesure d'accueillir les manifestations. Le goût du public pour l'aviation était très fort à cette époque d'avant-guerre, les meetings attiraient beaucoup de monde. C'est lors d'une fête, durant l'été 1938, que le célèbre James William, champion du monde de chute libre, se tua à Courlaoux.

   La déclaration de guerre arrête les activités de l'aéro-club. Durant les années 1939, 1940, l'ancien camp reprend du service pour l'armée. Des pistes en mâchefer avaient été construites dans le bois des vieilles coupes longeant le Castel, et permettaient de cacher les avions sous les arbres. Ensuite, pendant l'occupation, la résistance organise des départs pour Londres sur le terrain baptisé « Courgette », pour signifier Courlaoux.

   Pendant les nuits de pleine lune de novembre 1942 et janvier 1943, deux départs pour Londres se font depuis notre commune, malgré la présence de soldats allemands à Lons-le-Saunier. Léon Toinet, éleveur de porcs à Courlaoux, élu conseiller général du canton de Lons-le-Saunier en 1937, et plus tard membre du Comité départemental de la Libération, est un des organisateurs des atterrissages et parachutages au sein du groupe « action 1 ». Le 17 novembre 1942 à midi, M. Toinet entend le message diffusé par la BBC « mon petit ours en laine blonde trotte à cette heure de par le monde ».

   Le message repasse le soir. Aussitôt le balisage du terrain se met en place. Cela consiste à disposer au sol des hommes munis de lampes électriques pour former un triangle isocèle, la pointe indiquant le sens du vent. Les équipes S.A.P. (Service Atterrissage et Parachutage) se mettent en place sur le terrain « Courgette » à 23 heures. Vers minuit, le Lyslander, piloté par le lieutenant Bridger, atterrit. Deux passagers débarquent : Henri Fresney, chef du mouvement de combat, et Emmanuel d'Astier de la Vigerie, chef du mouvement Libération. Ils apportent des ordres de Londres et du matériel de transmission.

   Puis embarquent aussitôt Yvon Morandat et le général François d'Astier de la Vigerie, avec plusieurs sacs de courrier. L'avion décolle immédiatement vers l'Angleterre. Les deux passagers débarqués sont emmenés en voiture au château de Villevieux chez les fameuses dames Bergerot, héroïnes de la résistance. Léon Toinet se charge lui-même de faire héberger les deux passagers en attente. Il emmène tous les soirs, pendant quinze jours, le général d'Astier coucher au Café de la gare à Courlaoux et le reprend le matin avant le jour.

   Le 26 janvier 1943, deux Lyslanders sont annoncés sur le terrain « Courgette » par le message suivant : « le castor foulera la neige deux fois » (castor pour Castel, lieu-dit situé près de la piste balisée). L'opération est dirigée au sol par Paul Rivière, responsable du service S.A.P. Deux passagers seulement sont en attente sur le terrain : le colonel Manhès et Jean Fleury. Les deux appareils atterrissent sans incident, pendant qu'un troisième continue de tourner en l'air. Du premier, débarquent deux agents avec du matériel, puis embarquent les deux personnalités. Les avions repartent, le second à vide.

   Les deux hommes qui ont manqué leur départ n'arriveront à Villevieux que le 27 janvier au soir. L'un, assez jeune, se fait appeler M. Max, l'autre plus âgé, M. Vidal. En fait, le premier n'est autre que Jean Moulin, représentant du général De Gaulle, chargé d'unifier les maquis, le second le général Delestraint, chef de l'Armée secrète. Les deux hommes repartiront sur Lyon, dans la journée.

   Ces départs furent vite découverts par l'occupant et le terrain truffé de pieux, interdisant ainsi tout nouvel atterrissage. Pendant ce temps, sur "l'ancien camp", étaient construites des baraques en bois, destinées à accueillir des soldats. Une expérience qui consistait à mettre les casernes à la campagne. Cette méthode, qui devait avoir plus d'inconvénients que d'avantages, fut abandonnée. On peut voir encore les anciens chemins empierrés qui desservaient les baraquements.

  

Après la guerre, les activités de l'aéro-club ont repris et les fêtes d'aviation ont été plus belles encore. Les progrès de la technologie permettaient d'améliorer le matériel. Le parachutisme avait beaucoup évolué durant la guerre. Il était devenu un sport à la mode. Les meetings présentaient alors, en plus des avions, des sauts en parachute.

   Quand il y avait des manifestations, la route nationale 78 était fermée entre Courlaoux et l'entrée du hangar. L'après-midi, elle devenait vite noire de monde. Des hauts-parleurs, installés sur toute sa longueur, à l'emplacement actuel de la piste d'auto-école, diffusaient de la musique et le programme des festivités. Ils maintenaient la foule en haleine, décrivant le déroulement des animations. Les attractions étaient fort nombreuses : voltiges avec des avions légers, démonstrations de vols en rase-mottes au-dessus de nos têtes par l'escadrille de chasse de Dijon-Longwy qui repartait dans un fracas épouvantable. Les normes de sécurité n'étaient pas encore ce qu'elles sont aujourd'hui. Les Américains, basés à Tavaux, arrivaient en plongeant sur le hangar avec leurs puissants chasseurs bombardiers, redressant leurs appareils au dernier moment. La fête continuait avec des démonstrations de chute libre. Les hauts-parleurs annonçaient le départ de l'avion porteur qui prenait son envol dans un bruit assourdissant à cause de son moteur à échappement libre et de son hélice à pas variable, pour le  " Broussard " de l'aéro-club. Une fois décollé du sol, l'appareil prenait de la hauteur lentement, lourdement chargé de six ou sept hommes. Les premiers sautaient à 1500, 2000 mètres ; ensuite, l'avion continuait à monter en tournant au-dessus du terrain jusqu'à 10.000 mètres et plus. Au micro, le speaker nous tenait au courant de la situation. On n'entendait plus qu'un léger ronronnement de l'avion. Chaque fois qu'un parachutiste s'apprêtait à sauter, le pilote coupait les gaz du moteur. A ce moment-là, tout le monde, la tête en l'air, guettait pour voir sortir de la carlingue un point noir, pas plus gros qu'une fourmi. A cet instant, même si l'on n'avait rien vu, on entendait : « ça y est, il a sauté ! ». Le point noir descendait à grande vitesse et grossissait de plus en plus pour devenir une forme humaine. Chacun retenait son souffle en comptant les secondes écoulées avant de voir se déployer la toile blanche du parachute qui s'ouvrait avec un claquement sec. L'homme se balançait alors lentement au bout de ses cordages sous les acclamations du public.

   Mais, en fait, la vitesse était encore rapide et le contact avec le sol assez rude. Plus tard, les sauteurs s'équipèrent de fumigènes. Ils étaient ainsi plus faciles à repérer à la sortie de l'avion et déchiraient le ciel d'une longue traînée blanche pendant toute la durée de leur chute libre.

   L'aéro-club de Lons-le-Saunier était une société très dynamique. Tous les grands noms de la voltige et du parachutisme sont venus à Courlaoux. Je me souviens de quelques uns dont Valentin dit " l'homme oiseau ", champion du monde, Monique Laroche, championne de France (elle avait un parachute de couleur, ce qui était rare à l'époque). Une école de parachutisme avait été ouverte au hangar de Courlans. Il y avait des sauts tous les dimanches en été, mais cette activité dangereuse devait cesser à Courlaoux à la suite d'un accident.

   M. Jean Gauthier, ancien maire de Courlaoux, fut président de l'aéro-club pendant une dizaine d'années. Il avait offert des baptêmes de l'air à tous les pompiers de Courlaoux à l'époque des années 70. M. Edmond Gilles, pilote de chasse à la base aérienne de Dijon-Longwy, était originaire de Condamine. Il passait souvent en avion au-dessus de son village natal, en duo avec un collègue. Les deux avions à réaction, des " Ouragans ", arrivaient en rase-mottes au-dessus des maisons dans un vacarme d'enfer. Les gens disaient : « C'est l'Edmond ! ». Il avait fait partie de l'escadrille " Normandie-Yémen " et avait combattu aux côtés des Soviétiques contre l'Allemagne nazie dans les années 40. Ils pilotaient des " Yaks ". Les premiers avions à réaction apparurent après la guerre : c'étaient des " Vampires ". Ils avaient un double fuselage à l'arrière et leur bruit strident faisait peur. Ensuite, il y eut les doubles " bang " provoqués par le passage du mur du son, interdits plus tard.

   Je me souviens aussi d'une fête d'aviation nocturne avec des feux d'artifice extraordinaires, ce qui n'était pas courant à cette époque, une simulation d'attaque du terrain et des sauts en parachute par de jeunes militaires. Les avions, des " Nord Atlas " nous sont arrivés au-dessus de la tête sans qu'on les ait vus ni entendus (peut-être à cause du bruit de la foule). Je me rappelle qu'un des parachutistes était tombé non loin de nous au milieu des spectateurs. Les enfants étaient émerveillés de voir en vrai ce jeune homme tombé du ciel, tout équipé, casqué et armé, se dépêtrer dans son parachute. Nous voulions l'aider car nous avions des lampes électriques mais il me semble bien avoir entendu la voix de mon père m'intimer l'ordre de ne pas rester à cet endroit. Après, nous avons dû rentrer à la maison la tête pleine de ces histoires de la libération qui étaient encore toutes fraîches dans nos mémoires et qui envahissaient les écrans des cinémas grâce aux films américains.

   Encore une petite anecdote pour finir : dans les années 60, M. Léglise, chef pilote instructeur, donnait ses leçons sur un antique bi-plan Stamp construit en bois, recouvert de toile. Cet appareil sans cockpit planait facilement et, avec un pilote comme lui, aurait pu atterrir sur un terrain de football. Ses deux places étaient situées l'une derrière l'autre et seul un simple pare-brise protégeait les pilotes. Si bien qu'avec le bruit du moteur et la turbulence de l'air, le pilote et l'élève avaient bien du mal à s'entendre parler. Alors M. Léglise coupait les gaz du moteur et les gens au sol l'entendaient littéralement hurler ses consignes à l'élève. Cette pratique avait contribué à lui donner une réputation de mauvais caractère, alors qu'en réalité il n'en était rien.

 

André Gaulliard